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troisième série
Troisième série
À "Mon petit sourire", l'un des premiers enfants admis à l'Ashram, à l'âge de quatorze ans. Petit sourire a pendant longtemps brodé des robes et des sârîs pour Mère, avant d'entrer à son service personnel. Elle a commencé de correspondre avec Mère à l'âge de dix-sept ans.
Mon cher petit sourire, Il ne faut pas perdre patience, ni courage; tout cela La condition dans laquelle vous étiez quand vous brodiez "le silence¹" (les fleurs) ne peut pas revenir telle qu'elle était, car les choses ne se reproduisent jamais exactement dans le monde ; tout change et tout progresse — mais l'état de paix mental que vous avez connu ne sera rien en comparaison de celui — beaucoup plus complet et profond — que vous con- naîtrez. Il faut garder intactes son aspiration et sa volonté de conquérir tous les obstacles ; il faut avoir une foi inébranlable en la grâce divine et la victoire certaine. Sri Aurobindo travaille à votre transformation, comment ne pas être sûre qu'il triomphera ! Avec toute ma tendresse. 1931
Je voulais dire simplement que vous étiez heureuse et que vous aviez confiance comme un enfant ou un animal a confiance et est heureux sans savoir pourquoi. Maintenant il faut apprendre à erre heureuse et à avoir confiance en sachant pourquoi, en comprenant la raison profonde de votre bonheur et de votre confiance. 1931
¹Silence : nom donné par la Mère a la passiflore sauvage (passiflora incarnata). Page – 57 Mon petit "sourire", Pour que le sourire devienne vraiment "éternel" vous devez apprendre à me parler aussi librement quand vous êtes auprès de moi que lorsque vous êtes dans votre chambre. Aussi il vaudrait mieux ne pas se fâcher, et si cela arrive, il vaut mieux oublier vile sa colère ; et si cela n'est pas possible, alors il faut me raconter tout simplement ce qui s'est passé pour que je puisse effacer la colère de la conscience de mon "petit sourire" et lui redonner la joie et la paix que Je veux qu'il ait toujours. Avec mes bénédictions bien affectueuses. 1931
J'ai vu le sârî brodé par mon petit sourire et je le trouve très joli, tout à fait réussi. Il ne faut pas écouter les critiques que des gens sans goût ou sans une suffisante éducation, peuvent faire. Tendrement. .1931
Chère Maman, Je T'envoie cette roupie. Maintenant je n'ai plus besoin d'argent de poche.
Je prends la roupie et envoie à ma chère petite enfant, avec mes bénédictions, toutes mes félicitations pour la façon dont elle a passe son examen de français. Affectueusement. Le 10 mai 1932
Mon petit sourire, Je suis bien contente que tu aies écrit ; je suis sûre que tu te sens beaucoup mieux maintenant. N'attache pas trop d'importance à toutes ces choses; ce sont les imaginations d'une enfant qui ne sait rien de la vie, de ses misères et de ses laideurs. Car la vie n'est pas telle qu'on la raconte dans les romans ; Page – 58 l'existence de chaque jour est pleine de petites et de grandes souffrances, et c'est seulement par l'identification avec la Conscience Divine que l'on peut atteindre et conserver le vrai bonheur qui ne varie pas. Garde ta confiance et ta foi, mon petit sourire, et tout ira bien. Avec toute ma tendresse. Le ler août 1932
Chère Maman, Voici le sujet donné en devoir dans la classe de français. 'Développer cette pensée : La consécration au Divin est le secret de l'être. Un perpétuel renouveau de force provient de la communion avec l'Infini.
Mon cher petit sourire, C'est très simple, tu vas voir. 1} L'infini est le magasin inépuisable des forces. L'individu est une batterie, un accumulateur qui se décharge à l'usage. La consécration est le fil par lequel l'individu-batterie est joint a l'infinie réserve des forces. Ou bien : 2) L'infini est le fleuve qui coule sans arrêt : l'individu est le petit étang qui se dessèche lentement au soleIl. La consécration est le canal qui relie le fleuve à l'étang et empêche celui-ci de se dessécher. Avec ces deux images, je pense que tu comprendras. Tendresses. Le 28 août 1932
Maman, J'ai trouvé bien des fois que si je n'imagine pas ce qu'on appelle des romans, je sens une sorte d'alourdissement, Page – 59 alors je ne peux pas travailler et, même si je travaille, je ne peux pas travailler vite. Aujourd'hui, toute la journée s'est passée dans cet état d'appesantissement parce que je n'imagine plus comme auparavant. Mère, j'aimerais bien savoir si tout ce que je dis est vrai au sujet de mon appesantissement — s'il est dû à l'absence d'imagination.
L'alourdissement provient du "tamas" ; l'activité Imaginative secouait le tamas et vous débarrassait ainsi de l'alourdissement. Mais ce n'est pas le seul moyen de s'en débarrasser. S'ouvrir à la Lumière et à la Conscience d'en haut, et leur permettre de remplacer le tamas dans la conscience extérieure, est un bien meilleur et plus sûr moyen. Le 22 novembre 1932
Mère chérie, Je ne veux pas de "tamas". Aujourd'hui j'ai travaillé toute la journée. Mon mental n'a pas de "tamas" ; il est toujours actif et U court ça et là comme un fou.
Le mental court toujours comme un fou. Le premier pas est de détacher de lui sa conscience et de le laisser courir tout seul sans courir avec lui. Alors il trouve cela moins amusant et au bout de quelque temps il devient plus tranquille. Le 2 novembre 1932
Chère Maman, J'ai remarqué qu'en présence de X, Je n'ose pas faire certaines choses, comme parler à haute voix ou des choses impolies de ce genre.
Il est bon de s'observer afin de voir ses faiblesses et de pouvoir les corriger. Le 26 novembre 1932 Page – 60 Mère chérie, Tu sais que le docteur m'avait demandé de veiller sur Y. À l'Ashram, j'ai entendu Z lui demander quelque chose à propos de Y et j'ai entendu aussi que le "Pourquoi parlez-vous de Y à Z?" Il m'a dit : "Z me demandait ce qui est arrivé à Y, il ne la voit pas au pranâm¹." Alors j'ai répondu: "Mais il n'a rien à faire avec elle et ce n'est pas bon de dire tout cela aux gens parce qu'ils ne peuvent rien faire pour elle. — Oui, dit le docteur, je comprends que c'est seulement par curiosité qu'il m'a demandé cela et je ne lui dirai rien. "
Mon petit sourire, Tu as très bien répondu au docteur et tu as parfaitement raison. Il ne faut jamais parler des autres, c'est toujours mutile, et encore moins de leurs difficultés, ce n'est pas charitable car cela ne les aide pas à surmonter ces difficultés. Pour les médecins, c'est la règle de se taire au sujet des personnes qu'ils soignent, et le docteur devrait bien le savoir. J'espère que tu n'es pas effrayée par ce qui arrive à Y. Il faut rester bien calme, bien tranquille, et tout ira bien. Le 28 novembre 1932
Maman, Quand Tu jouais de l'orgue j'avais le sentiment que les autres entendaient que Mère jouait de l'orgue pour moi et cela me rendait orgueilleuse. Je comprenais (même à ce moment-la) que c'était un mauvais sentiment et je ne voulais pas avoir ce sentiment : mais je ne sais pas comment je peux me défaire de cela.
¹Litt., "acte de s'incliner, salutation". À cette époque, la Mère recevait tous les membres de l'Ashram, même les enfants, qui venaient la saluer. Elle donnait à chacun une ou plusieurs fleurs, véhicule de son aide spirituelle, Page – 61 Mère, je croise que si je reste toute seule, là où il n'y a personne, je serai très heureuse. Je suis très mauvaise, je ne sais pas quand toutes ces mauvaises choses partiront de moi. Prends pitié de moi.
Il ne faut pas exagérer... Il y a certainement des mouvements de vanité — assez enfantins d'ailleurs — mais ce ne sont pas les seuls mouvements. Je suis bien sûre que lorsque tu entendais la musique tu avais aussi la simple et saine Joie de la musique pour elle-même, et lorsque tu es près de moi, tu as aussi la simple et sincère joie d'une enfant qui est près de sa mère. La nature est complexe et il y a toujours, mélangé, du vrai et du faux, du bon et du mauvais. Il est très utile de voir clairement ses défauts et ses faiblesses, mais il ne faut pas voir que cela, car ce serait aussi un déséquilibre. Il faut savoir aussi ce qui est bon et vrai dans la nature, et lui donner toute son attention, afin que ce bon et vrai côté puisse croître et finalement absorber tout le reste et transformer la nature. Le 5 décembre 1932
Mère, Ce matin au Pranâm, quand je T'ai vue, il me semblait que Tu étais très sérieuse. Je T'écris tout ce que je pense que je dois Te raconter, parce que je T'ai promis d'écrire mes pensées et mes sensations et je ne veux pas Te tromper (ni moi non plus). Je n'ai rien de bon à Te dire. J'ai un tas de mauvaises, laides, sottes et vilaines choses de ce genre à Te raconter. S'il y a quelque chose de bon, c'est seulement que je travaille pour Toi (Ton sârî), c'est la seule chose que j'appelle bonne. Aujourd'hui j'étais triste toute la journée, je ne pouvais pas sourire. Tu auras de mot beaucoup de choses de ce genre à lire. Mais si Tu deviens sérieuse comme Tu étais ce matin, /'aimerais mieux arrêter cette affaire. Page – 62 Aujourd'hui j'ai travaillé sept heures.
Non, mon enfant, je n'étais pas "sérieuse" et je t'ai souri comme d'habitude ; mais c'est toi qui avais une petite figure toute triste et c'est probablement ta propre tristesse que tu as vue se refléter dans mes yeux. Je connais trop la vie pour que tes confessions puissent me rendre "sérieuse". Elles ne sont pas bien terribles, d'ailleurs, tes confessions, quoi que tu puisses en penser. Et lorsque tu m'auras dit toutes les choses qui le tourmentent, tu verras qu'elles auront disparu et que tu te sentiras libre et joyeuse. Garde ton sourire, petite enfant, c'est cela qui te donne ta force. Le 7 décembre 1932
Mère, Je ne sais pas pourquoi, mais depuis deux ou trois jours je me sens un peu triste. Mère, quelquefois, quand je suis déprimée, quand je sens que peut-être je ne pourrai pas faire le yoga, ma tête imagine : "Si Mère me dit que je ne peux pas faire le yoga et qu'Eue me dise de m'en aller d'ici, je n'ai personne chez qui je puisse aller et je ne peux rester nulle part, je resterai ici même comme une servante, mais il est impossible pour moi de vivre ailleurs. " En pensant à tout cela, je me rends plus triste qu'auparavant. Ma maman, aujourd'hui il semble que ma tête n'est pas assez sereine pour T'écrire quoi que ce soit. Aujourd'hui j'ai travaillé meuf heures sur le sârî
Ma chère petite enfant, Il ne faut pas accepter la dépression, jamais, et encore moins ces suggestions, si sottes et mensongères, que je pourrais te dire de t'en aller ' Page – 63 Comment peux-tu penser une chose pareille ? Tu es ici chez toi — n'es-tu pas ma petite fille ? —, et tu auras toujours une place auprès de moi, dans ma tendresse et ma protection. Le 9 décembre 1932
Maman, J'ai eu une conversation imaginaire dans ma fête avec X. Je n 'étais pas attentive, mais à un moment j'ai pensé que j'aurais à écrire tout cela à Mère et tout à coup la conversation s'est arrêtée. C'est comme cela que, dans ma tête, je parle avec les gens; mon esprit met les pensées qu'il veut, comme il veut, dans la bouche de quelqu'un et ainsi cela fait du bruit dans ma tête. Je suis très/alignée d'écrire des choses mauvaises et sottes de ce genre. Je ne sais pas quand cet esprit distrait deviendra tranquille.
Ce n'est pas bien méchant, l'esprit aime être toujours occupé à quelque chose et se raconter des histoires (quand on sait que ce sont des histoires qui ne sont pas vraies) est une des occupations les plus innocentes de cet esprit agité. Évidemment, il faudra un jour qu'il devienne calme et tranquille pour recevoir la lumière d'en haut ; mais en attendant, tu peux bien me raconter toutes les histoires de ce genre. Je les trouve plus amusantes que sottes et elles m'intéressent. Ainsi ne te dis pas : je ne raconterai pas ceci ou cela à Mère, mais au contraire ; je lui dirai tout bien franchement. Le 11 décembre 1932
Chère Maman, Je ne suis jamais satisfaite, alors même que Tu m'as donné une chance qu'on a très rarement. Mon être vital veut toujours de plus en plus; il n'est jamais satisfait de ce que Tu lui donnes.
Mon enfant, je vais révéler quelque chose que tu tâcheras die comprendre ; tu n'es pas satisfaite, non pas parce que je ne te donne pas tout ce dont tu as besoin, mais parce que je te donne plus, beaucoup plus que tu n'es capable de recevoir. Ouvre-toi, augmente ta réceptivité en te donnant davantage et tu verras que tout mécontentement disparaîtra. Le 12 décembre 1932
Chère Maman, En nulle chose Je trouve un progrès. Même dans mon travail je ne suis pas encore régulière, comment pourrais-je avoir l'espoir de ton aide ?
Je ne comprends pas ce que lu veux dire. Mon aide est avec toi toujours aussi complète qu'elle peut l'être ; c'est à toi de t'ouvrir et de la recevoir. Et ce n'est certes pas en étant révoltée et mécontente que lu pourras le faire.
Maintes fois j'ai résolu de travailler régulièrement et maintes fois j'ai échoué, alors je pensais que si je Te le disais, j'aurais Ton aide pour cela et que je deviendrais régulière dans mon travail, mais en vain. Alors comment puis-je, en cette condition de dépression et de mécontentement, continuera T'écrire? Mais je ne Te blâme pas pour cela, c'est moi, je n'ai pas une volonté forte, alors comment puis-je m'en débarrasser?
Tu n'as pas besoin d'avoir une forte volonté, tu n'as qu'à te servir de la mienne. Méfie-toi, enfant, n'ouvre pas la porte à la dépression, au découragement et à la révolte, cela mène loin, bien loin de la conscience et vous fait descendre dans des profondeurs d'obscurité où le bonheur ne peut plus entrer. Page – 65 Ta grande force était ton sourire ; parce que tu savais sourire à la vie, tu savais aussi travailler avec courage et constance, et en cela tu étais exceptionnelle. Mais tu as suivi l'exemple d'autres personnes, tu as appris d'elles à être mécontente, révoltée, déprimée, et maintenant tu as laissé ton sourire s'enfuir et, avec lui, ta foi et ta confiance en moi, et dans cette condition toutes les forces divines se concentreraient sur toi que ce serait en vain, tu refuserais de les recevoir. Il n'y a qu'un remède, et il ne faut pas perdre un moment pour l'accepter : reprends ton sourire, retrouve ta foi, redeviens l'enfant confiante que tu étais, ne te morfonds pas sur tes défauts et tes difficultés, c'est ton sourire qui les chassera. Le 16 décembre 1932
Chère Maman, Quand je m'éveille de mon sommeil, bien souvent j'ai remarqué qu'il y avait une sorte de bruit dans ma tête. Ce bruit est comme si beaucoup de gens parlaient ensemble et on ne peut rien comprendre à ce qu'ils disent. Et c'est comme si ce bruit durait toute la nuit. C'est comme au marché, il y a beaucoup de bruit parce que les gens parlent tous à la fois et on ne peut rien comprendre à tout cela.
Dans ton sommeil tu deviens consciente du bruit que font, dans leur domaine propre, les pensées mécaniques du mental le plus matériel. Le 18 décembre 1932
Chère Maman, ... quant à X, je me demande aujourd'hui pour- quoi je n 'ai pas refusé. Mais quel est l'avantage de penser après ? Page – 66 Il y a un avantage à revoir ce que l'on a fait après quelque temps ; avec l'éloignement, hors de l'action, on voit plus clair et l'on se rend mieux compte de ce qui aurait ou n'aurait pas dû être fait. Le 20 décembre 1932
Mère chérie, Si Tu veux que ces imaginations restent en moi, laisse-les rester, mais si Tu ne le veux pas, déracine- les.
Encore une fois ne t'inquiète pas, ce qui devra disparaître, disparaîtra; seul ce qui est bon restera. Le 25 décembre 1932
Chère Maman, Je crois que ce sera ma dernière lettre. Je ne veux plus T'écrire, car je suis épuisée. Je sais que Tu ne seras pas contente, mais je dois Te le dire : il vaut mieux que. Ta ne t'occupes plus de moi. Tu perds ton temps avec moi. Ces derniers jours, j'ai recommencé à être irrégulière dans mon travail. Un jour, Tu m'as dit que m'ouvrir à Toi est mon travail, parce que Ton aide est toujours avec moi. Mais je ne sais pas quand je m'ouvrirai à Toi. Je suis aussi dure qu'un caillou. Si j'avais su que ces choses étaient aussi difficiles, jamais je n'aurais voulu venir ici. Mère, j'espère que Tu ne vas pas me dire que c'est lie la révolte, car je n'aime pas qu'on me dise cela. Mère, je ne sais pas pourquoi je T'ai écrit tout ça. Je T'en prie, Mère, ne te fâche pas, je n'ai personne que Toi! Pourquoi ce découragement ?. Chacun a ses difficultés, les tiennes ne sont pas plus insurmontables que celles des autres. Page – 67 Il faut seulement garder confiance et bonne humeur. Le 27 décembre 1932
Chère Maman, "'Ce qui devra disparaître, disparaîtra ; seul ce qui est bon restera. " Tu m'as écrit cela l'autre jour dans mon cahier. Mais soutes les choses dont je T'ai parlé dans mes lettres jusqu'à ce jour n'ont pas disparu. Peut-être sont-elles toutes bonnes ! El peut-être que cette révolte, ce mécontentement, ce découragement et cette mauvaise humeur sont bons aussi. Parce qu'ils sont en moi — ils n 'ont pas disparu. Et le sourire, et travailler régulièrement, et avoir confiance — tout cela est peut-être mauvais. Parce que je vois qu'ils ont disparu, au moins à présent. Et s'il n'y a rien de mauvais en moi, pourquoi prenons-nous tant de peine ? Ce serait mieux de rester tranquille parce que "Ce qui devra disparaître, disparaîtra ; seul ce qui est bon restera. " Mère,je sais que tout ce que j'ai écrit ne Te plaira pas, mais comment faire ? Je dois T'écrire tout cela.
Je ne suis pas fâchée parce que ce que tu écris là ne signifie rien — Je te plains, voilà tout. T'ai-je dit que cela disparaîtrait immédiatement, instantanément, surtout si toi- même tu es plus encline à le conserver qu'à le rejeter ? Le 28 décembre 1932
Chère Maman, Ce matin après 9h X est venu chez moi. Il m'a conseillé de rejeter les suggestions hostiles, etc. Il m'a fait une conférence. Il ne me l'a pas dit, mais je crois que c'est Toi qui lui as dit d'aller chez moi. Mais je Te dirai que je n'aime pas que les gens viennent me/aire la leçon. Ne peux-Tu pas me dire directement ce qui est nécessaire ? Page – 68 Ne suis-je pas ici chez Toi ? Suis-je très loin ? Alors pourquoi dois-je entendre les avis d'autres personnes ?
Ce sont ton amour-propre et ta vanité qui sont dans un état d'exaspération et qui t'empêchent de voir l'affection où elle se trouve.
Je ne sais pas si Tu dis à X ce que je T'écris, mais j'aimerais mieux que Tu ne le lui dises pas.
Seul Sri Aurobindo sait ce que tu m'écris.
Tu m'as écrit une fois dans ce cahier (le ï6 décembre) à propos de Ton aide : "C'est à toi de t'ouvrir et de la recevoir. El ce n'est certes pas en étant révoltée et mécontente que tu pourras le faire." Et Tu m'as écrit une fois (le 7 décembre) dans ce cahier : "Et lorsque tu m'auras dit toutes les choses qui te tourmentent, tu verras qu'elles auront disparu et que tu Se sentiras libre et joyeuse. " Alors je Te dirai que même cette révolte et cette mauvaise humeur aussi me tourmentent.
De toutes les choses ce sont les pires.
Je crois que je T'ai dit toutes les choses qui me tourmentent.
Il ne suffît pas de dire, il faut vouloir qu'elles disparaissent.
Mère, aujourd'hui je suis triste. Je ne sais pas pourquoi mais /ai pleuré aussi. Page – 69 C'est bien naturel pourtant ; comment ne pas être triste quand on tourne le dos à son âme, et cela simplement par orgueil!
Maman, Débarrasse-moi de ce découragement et de cette révolte, s'il Te plaît. Ne me sauveras-tu pas de cela ?
De toute ma volonté je veux te sauver mais il faut que tu me laisses le faire. Se révolter c'est rejeter l'Amour Divin et seul l'Amour Divin a le pouvoir de sauver. Le 28 décembre 1932
Maman, Ne suis-je pas Ton enfant ? Oui, je sais que je suis une enfant méchante, mais que faire ? Méchante ou non, en tout cas je suis à Toi.
Je ne pense pas que tu es méchante et je sais que tu es mon enfant. Le 29 décembre 1933
Chère Maman, Il me semble que mon mental (ou plutôt moi) ne veut pas devenir tranquille. Parce que si je voulais devenir tranquille, naturellement j'aurais essayé de me rendre tranquille, n'est-ce pas ?
Dans le domaine psychologique, seuls les malades qui ne veulent pas guérir, ne guérissent pas. Peut-être en est-il de même pour les maladies physiques ?... Le 5 janvier 1933
Chère Maman, Qu'est-ce que c'est que tout cela, les maladies psychologiques et les maladies physiques ? Je ne comprends rien à cela. Page – 70 Les maladies psychologiques sont les maladies des pensées et des sentiments, comme la dépression, la révolte, la tristesse, etc. Les maladies physiques sont celles du corps. Le 6 janvier 1933
Chère Maman, Oui, je sais que Tu sais que maintenant je ne peux rien Te cacher et que c'est impossible pour moi de vivre sans Toi, et c'est pourquoi, maman, Tu aimes me voir souffrir le plus possible, non ?
Je ne comprends absolument rien de ce que tu veux dire. Tu as l'air de dire que j'aime le voir souffrir; mais c'est si absurde que je ne puis croire que c'est cela que tu veux dire. Alors que de toute ma volonté je travaille à faire disparaître la souffrance du monde, comment est-ce que Je pourrais vouloir, et encore moins aimer, que l'un de mes enfants souffre !... Ce serait monstrueux. Le 7 janvier 1933
Chère Maman, Depuis deux jours, je me sens tout à fait désespérée et très triste — tellement qu'il me semble que si cela continue pendant quelques jours, ce sera peut- être très difficile de m'en défaire (de cette tristesse et de ce désespoir). Je ne sais pas ce qui arrivera, mais je ne puis m'empêcher de penser que si je suis toujours dans cet état et si je ne peux toujours pas être heureuse, il me sera bientôt impossible de vivre. Pendant ces deux Jours, dans cette tristesse et ce désespoir, j'ai eu l'idée de me donner la mort (ne crains pas, je ne vais pas me donner la mort, je Te dis seulement que je suis dans cet état pour Te le faire savoir).
Il y a des voleurs dans le monde invisible comme dans le monde extérieur. Page – 71 Mais il faut leur fermer les portes de sa pensée et de ses sentiments aussi soigneusement que l'homme prudent verrouille les portes de sa maison. Ces suggestions de tristesse, de désespoir et de suicide viennent d'eux (les voleurs du monde vital) parce que c'est quand on est déprimé qu'ils peuvent le mieux vous voler. Il ne faut pas les écouter — il faut rejeter les suggestions mauvaises et redevenir toi-même; c'est-à-dire mon "petit sourire". Le 9 janvier 1933
Chère Maman, Tu ne m'appelles plus "mon enfant" ? Suis-je si mauvaise et indigne ? Maman, je crois que je fais tout ce que je peux faire, et pourtant si je ne peux être bonne, quoi faire ? Oui, je sais que je ne suis pas ce que j'étai avant.
Je n'ai eu aucune intention en n'écrivant pas "mon enfant" sur le petit mot que je t'ai envoyé cet après-midi. J'étais très pressée et j'ai écrit aussi peu de mots que possible. Évidemment je regrette le temps où tu étais vraiment le petit sourire éternel, spontanément et sans effort, quand tu te sentais satisfaite avec ton travail, heureuse d'être auprès de moi, et assez confiante et simple pour ne pas donner une fausse interprétation à tout ce que je fais. Qui a versé ce poison du doute et de l'insatisfaction dans ton cœur ? Qui t'a enlevé à !a fois ton bonheur, ta simple joie de vivre et ton joli sourire, qui faisait plaisir à voir? Je pose la question mais ce n'est pas pour que tu me répondes, car je pense le savoir; c'est seulement pour que tu comprennes que je ne te rends pas responsable de ce changement qui est venu sur toi au dehors. Maintenant il n'y a qu'une voie ouverte, celle du progrès ; comme il est impossible de revenir en arrière, il faut aller en avant, et que ce qui était seulement instinctif devienne conscient et voulu. Page – 72 Et ne doute Jamais de mon affection qui est avec toi toujours pour t'aider à faire cet indispensable progrès. Le 11 janvier 1933
Chère Maman, Tu m'as dit de T'écrire tous les jours quelque chose mais maintenant, quand je ne trouve rien, je ne sais pas quoi écrire. Et pour tout ce que je T'ai écrit — comme Tu m'as dit, je dois vouloir avec toute ma volonté et je dois travailler comme avant pour me rendre heureuse et bonne. Cela, j'ai commencé à le faire. Mais quand je n'ai rien à T'écrire, que puis-je écrire (pour garder le contact avec Toi comme Tu m'avais dit) ? Maman, Tu me le diras.
Mon petit sourire, quand tu n'as rien d'autre à me raconter, dis-moi à quelle heure tu t'es levée (comme ceci, par exemple : ce matin je me suis réveillée à telle heure après avoir dormi pendant tant d'heures, je me suis levée, j'ai fait ma toilette, puis j'ai pris mon petit déjeuner et je me suis mise au travail à telle heure, etc., etc.). Tu peux me dire toutes les personnes que tu as rencontrées et à qui tu as parlé, ce que tu leur as dit, etc. Cela fera un très bon exercice de français et en même temps créera une intimité de plus entre nous. Le 13 janvier 1933
Chère Maman, Ce matin je me suis réveillée à six heures moins le quart, j'ai fait ma toilette, puis je suis allée prendre mon cahier à /a fenêtre de X (je vais là toujours). Puis vers six heures et demie j'ai pris mon phoscao, puis à sept heures moins le quart je me suis mise au travail. A sept heures et demie je suis venue au Pranâm, puis à huit heures moins le quart je me suis mise au travail, Page – 73 à neuf heures et demie je suis allée chez Y pour apporter du travail à Z, puis je me suis remise au travail jusqu'à onze heures et demie, puis j'ai pris mon déjeuner, puis je me suis reposée pendant dix minutes. A midi je me suis mise au travail — à midi et demie 7. est venue travailler et vers deux heures elle a préparé du jus de citron pour nous. De midi à huit heures j'ai travaillé. J'ai fini la broderie de la couronne.
Eh bien ! c'est un succès ; c'est bien raconté, c'est écrit presque tout à fait correctement, et je suis contente de savoir comment se passe exactement ta journée. Ce sera bien de continuer comme cela. Le 14 janvier 1933
Maman, Je T'écris toujours les mêmes choses : dormir, travailler et parler. Maman, aimes-Tu lire la même chose tous les jours ?
Pourquoi pas, mon petit sourire ? Tu peux apprendre à dire les mêmes choses de façon différente ; c'est un excellent exercice pour apprendre à écrire et former son style. Il me semble que pour le moment tu t'exerces à la calligraphie ' Qui t'a appris à écrire si joliment ? Ta Maman affectionnée. Le 25 janvier 1933
Ma chère Maman, J'ai remarqué que X se conduit toujours aussi mal-Je le hais!...
Voilà un bien grand mot ! On dit que la haine est l'envers de l'amour ; en tout cas c'est un sentiment dangereux qui met Page – 74 toujours à la merci de celui que l'on hait : haïr c'est encore être attaché ; la véritable altitude est une complète indifférence. Le 27 janvier 1933
Ma chère Maman, Aujourd'hui je T'ai priée avec mon corps¹ pendant dix heures. La prochaine fois que je Te verrai, je T'expliquerai comment (es brodeurs fixent le sari sur le métier. Le métier doit être aussi grand que le sârî. Maman, n'aurai-je pas un métier si grand? pour broder les saris bien joliment.
Si je te donne un métier aussi grand, il faudra ensuite construire une chambre pour que le métier puisse entrer dedans ! Le 13 février 1933
Ma chère Maman, J'ai travaillé sur le sârî pendant dix heures. Je crois que Je finirai ce sârî avant le 24 avril. Maman, je n 'ai rien de nouveau à Te aire.
Tu es une belle et habile travailleuse, mon petit sourire, et je suis fière de toi et de tes œuvres si jolies. Je vois que tu as écrit sans une faute ! Le 14jévrier 1933
Mère chérie, Aujourd'hui je T'ai priée avec mon corps pendant neuf heures. Maintenant je suis de nouveau devenue régulière dans tous mes travaux comme
¹Prier avec le corps : faire son travail comme une offrande au Divin. La Mère a écrit : "Travailler pour le Divin, c'est prier avec son corps." Page – 75 Maman, quoi d'autre ?
C'est bien, mon petit sourire, sur un travail régulier est basé l'équilibre de l'être. Le 27 février 1933
As-tu remarqué la date d'aujourd'hui ? 3.3.33 ? Sais-tu que cela n'arrive que tous les onze ans ? Il y a onze ans, en 1922, au mois de février, on a pu écrire 2.2-22 et dans onze ans au mois d'avril on pourra écrire 4.4.44 et ainsi de suite. C'est amusant, n'est-ce pas ? Le 3 mars 1933
Ma chère Maman, "La beauté supramentale dans le physique¹", qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce que toutes ces choses — Sous les ans, les belles œuvres que nous faisons pour le Divin — sont l'expression de la beauté supramentale dans le physique ?
Non, tout cela n'est que la manifestation d'une harmonie universelle qui se trouve pour ainsi dire au cœur même de la création. Mais la beauté supramentale est quelque chose de beaucoup plus élevé et plus parfait ; une beauté qui n'est plus mélangée à aucune laideur et qui n'a pas besoin du voisinage de la laideur pour paraître belle. Lorsque les forces supramentales descendront dans la matière pour se manifester, cette beauté parfaite s'exprimera tout naturellement et spontanément dans toutes les formes. Le 6 mars 1933
Je suis très heureuse quand je porte tes sârîs, mais je veux aussi les garder aussi soigneusement qu'on garde des œuvres d'art et c'est pourquoi je ne les mets pas très souvent. Le 9 man 1933
¹Nom donné par la Mère à un hibiscus orange doré. Page – 76 |